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Et maintenant ? | Chapitre 2

    Ce texte est une fiction documentaire.

    Si la narratrice est le fruit de mon imagination, les informations citées sont réelles. Toutes les références (livres, films, lieux, personnes) et les sources sont regroupées à la fin du texte.

    Si vous arrivez sur ce texte pour la première fois, la présentation de ce récit est disponible ici (avec le lien pour accéder à la version intégrale en PDF).

    Vous pouvez également commencer la lecture à partir du premier chapitre.


    Toutes ces histoires me mettent en vrac. Après la boulimie d’informations de la première semaine de confinement où on voit que tout se casse la gueule, que les politiques se savent pas plus que nous où nous en sommes, qu’il y a des pénuries de masques, que les soignants n’en peuvent plus, que la bourse s’effondre, que la solidarité se met en place pour tenter de pallier les problèmes les plus graves avec des moyens ridicules, j’ai commencé à entrer dans une sorte de léthargie.

    Je me lève en regardant les infos, qui ne changent pas trop, je reprends les notes que j’avais prises lors de discussions avec ma grand-mère pour retracer l’histoire de ma famille. Je trouve ça chouette de savoir d’où l’on vient, d’essayer d’imaginer mes arrières grand-parents qui travaillaient dans une usine d’embouteillage de cidre en Normandie, ou ceux qui étaient paludiers, qui récoltaient le sel, dans les marais salants de Vendée.

    On ne m’a jamais raconté ces histoires quand j’étais petite. J’ai dû poser mille questions pour accéder à ces mémoires de famille, alors j’ai envie de les mettre en forme pour ceux qui viendront. Pour le moment, mon frère et mes cousins semblent assez hermétiques, mais je pense que quand ils verront le résultat, ça leur fera plaisir quand même. Dans l’idéal, j’aimerai finir avant les sept ans de ma nièce la plus âgée. Ce serait un beau cadeau d’anniversaire.

    je me suis inscrite sur un logiciel de généalogie en ligne pour commencer et, en faisant des recherches, j’ai retrouvé un lointain cousin qui a déjà bien bossé sur la branche du côté de mon grand-père. J’ajoute des personnes, des anecdotes, des dates. Je défriche. Il y a des moments où je suis à fond, et puis je m’arrête.

    Il ne faut pas que je fasse de pause, je n’arrive pas à m’y remettre. L’énergie stagnante de cette période de confinement rend la motivation difficile. J’ai du mal à me concentrer. Quand j’essaie de prendre un livre, je m’arrête au bout de quelques minutes. Il faudrait que je trouve un bon roman de 800 pages qui m’emporte pour quelques jours.

    Ce Elf, où est-il en ce moment ? Il a sûrement trouvé un endroit chouette pour passer le confinement. Il doit continuer à bosser sur son ordi, à développer des logiciels, comme si de rien n’était. Et ceux qui font les potager, au RAARE, ils font comment ? Si ce n’est pas leur travail, ils peuvent quand même aller bosser dans les champs ? Est-ce que ça fait partie des exceptions où on peut avoir une autorisation ? On est au mois d’avril. On fait quoi au mois d’avril quand on est agriculteur ?

    Image Elf Pavlik

    Je me retrouve sur Wikipédia. Agriculteur. Je me rends compte à quel point je suis déconnectée de ce que doit être cet univers. Je dis « agriculteur » et dans ma tête, je vois un maraîcher, mais en fait, entre celui qui produit des céréales, de la viande, du lait, des légumes, des fruits ou du vin, ça doit pas être la même vie.

    Le niveau des retraites des agriculteurs demeure très faible. La pension moyenne, au terme d’une carrière complète, est de 730 euros par mois. Le patrimoine dont disposent les paysans ne permet pas forcément de compenser ces faibles pensions, surtout s’ils sont très endettés.

    Page Wikipédia « Agriculteurs », avril 2020

    J’imaginais bien que les agriculteurs gagnaient mal leur vie, mais quand même à ce point-là ?! C’est même pas le SMIC pour avoir trimé toute sa vie avec des horaires pas possibles, avoir fait mal à son corps, inhalé plus de pesticides que n’importe quelle autre personne et mourir avec des années d’avance. Comment se fait-il que des gens acceptent ça ?

    Ça me fait penser à toute cette mouvance actuelle de « retour à la campagne », des gens qui partent pour devenir maraîchers ou élever des chèvres dans les Pyrénées. Qu’on veuille retourner à la campagne pour avoir un air plus pur, profiter de la nature, avoir plus d’espace pour les enfants, je comprends. Mais encore faut-il pouvoir travailler avec un salaire décent. Il y a forcément quelque chose que je ne comprends pas dans l’histoire.

    Au RAARE, on ne pose pas trop la question des revenus je pense. Comment font pour vivre ceux qui s’impliquent dans ces associations ? Pour payer leur loyer ? Je retourne sur la page de l’asso et je vois qu’ils font partie d’un collectif qui s’appelle « La Grand Ourse ». Ils ont réquisitionné un bâtiment de 2500m² dans le centre-ville d’Angers pour faire de l’hébergement d’urgence pour les personnes en grande précarité.

    On voit qu’ils ont de nombreuses autres activités : chantiers collectifs d’aménagement, café asso, espace artistique, ateliers de transmission de savoirs-faire et événements en tout genre : concerts, spectacles, etc. Waouh !

    Mais lieu réquisitionné, ça veut dire quoi ? L’adresse du site internet sur lequel je lis ces infos est radar.squat.net. La réponse est là. Un squat.

    Je ne sais pas trop quoi penser. J’ai assez rarement entendu parler de squats. Quelques bribes dans des discussions avec des potes. La première image qui me vient à l’esprit, c’est des junkies marginaux qui trouvent des lieux crades pour se faire des piqûres. Ou encore des anarco-punks habillés tout en noir qui te regardent d’un air mauvais et qui font je ne sais quoi dans de vieux bâtiments désaffectés. Des teufs sans doute.

    En y pensant, je me dis bien que ça doit être un tas de clichés pourris. Mais comme je ne me suis jamais posé la question, je les ai dans la tête. La société est bien faite pour décrédibiliser un certain nombre d’activités qui ne correspondent pas à la « bien-pensance générale ».

    Un squat pour accueillir les gens qui en ont besoin parce que l’État ne répond pas à ses missions de base de protection des plus faibles. En soit, c’est beau. Comment ça se passe concrètement ? À qui appartient le bâtiment ? Il servait à quoi avant ? Son propriétaire accepte la réquisition ? Ils disent qu’ils se sont fait expulser de leur ancien squat. Ça se passe comment les expulsions ?

    En tout cas, ça répond aussi à la question que je me posais avant. Ils ne payent pas de loyer. Un peu comme Elf, ils limitent leur usage de l’argent, même s’ils ne vont sans doute pas jusqu’à l’extrême de ne pas en utiliser du tout. On se retrouve encore une fois dans une précarité qui me semble énorme.

    Et mine de rien, ils doivent être quand même assez nombreux pour produire de la nourriture, accueillir les personnes dans le besoin (ça doit pas être de tout repos non plus) et faire toutes les activités dont ils parlent. Sans doute que seuls certains sont impliqués à plein temps et que de nombreuses autres personnes « normales » viennent pour donner un coup de main quand ils ont le temps.

    C’est un peu vache de dire des personnes « normales ». Enfin, je voulais dire, des gens qui vivent dans le système classique du salariat… Quoi que, est-ce qu’il y a des salariés dans cette asso ? Ce n’est pas impossible non plus. Ils pourraient être financés en tant que prestation de service publique par la mairie ou le département car ils mettent en place des actions d’intérêt général. Ça permettrait de financer quelques postes à temps plein. Peut-être qu’ils squattent mais qu’ils peuvent quand même avoir des subventions ? Ceci dit, les relations interpersonnelles entre les salariés et les autres dans un lieu pareil, ça doit être chelou. Déjà que dans la plupart des milieux associatifs, le lien entre salarié et bénévole est compliqué, alors dans un squat avec des gens qui galèrent…

    Je ne trouve pas trop d’infos sur les squats après une recherche rapide, alors je me retrouve de nouveau sur Wikipédia. En fait, il y a plein de sortes de squats différents, mais j’ai l’impression que c’est surtout des gens en galère pour se loger qui y ont recours (SDF, migrants, gens du voyage), des artistes qui ont besoin d’espace ou des « militants de la cause libertaire ».

    Certains squatteurs sont proches de l’ultragauche, de l’anarchisme ou du mouvement autonome et mettent en pratique l’idée de refus de la propriété privée. Ils soutiennent qu’en abolissant le loyer et en permettant de partager les ressources et les frais, le squat peut réduire la dépendance à l’argent et permettre de se réapproprier son temps de vie.

    Article Wikipédia « Squat », avril 2020

    On est en plein là-dedans je crois. Dans la liste des « squats notables », je trouve le lien vers le Transfo, un squat à Bagnolet, en proche banlieue parisienne. Pour le coup, ils ont une belle description de leur philosophie du squat :

    Dans ce monde, la plupart des relations sociales sont régies par l’argent (on est tour à tour salarié, client, consommateur…). Nous voulons un monde débarrassé de ces rapports et de l’argent. En attendant, et comme ce lieu existe sans loyer ni taxe foncière, nous pouvons éviter un maximum d’y faire tourner de l’argent.

    Nous ne vivons pas non plus dans un monde gratuit et le Transfo n’est pas auto-suffisant: les frais d’organisation, de bouffe, de boisson pourront être compensés par une caisse remplie librement par les participants, en fonction des moyens de chacun. Des événements en soutien à des luttes pourront être organisés sur la base de la gratuité ou du prix libre (donne ce que tu veux, ce que tu peux).
    Ainsi, personne ne peut être exclu par manque de moyen.


    Soutenir le lieu, ça veut aussi bien dire ramener un cageot de patates, que donner un coup de main pour ranger, que mettre des sous dans la caisse…

    Extrait du site du Transfo, avril 2020

    Oui, il y a un vrai lien avec la philosophie de Elf. En lisant ça, je me dis qu’il y a quand même peu de chance qu’ils cherchent des subventions et qu’ils aient des salariés.

    Le Transfo, c’est quatre bâtiments gigantesques qui appartenaient à EDF et qui étaient désaffectés depuis plusieurs années. L’un d’entre eux est dédié à l’hébergement, le reste à des « activités collectives inscrites dans la lutte, la gratuité et l’ouverture ». Il y a notamment un espace dédié à la construction. Ils parlent d’une cabane qu’ils ont fabriqué uniquement à partir de palettes, de clous et de tôles ondulées, démontable, pour l’amener sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, là où il y a eu le projet avorté d’aéroport près de Nantes.

    Tu parles d’une cabane ! C’est une vraie maison avec un bout d’étage. C’est trop beau. C’est fait uniquement à partir de palettes ?!

    Il ajoutent un livret avec les explications de construction. C’est assez fou de voir comment ils recréent des poutres à partir de bouts de planches, qu’ils agencent les morceaux de murs les uns aux autres et qu’ils créent des espaces vides pour insérer de l’isolant à posteriori.

    Je n’imagine même pas le travail rien que pour démonter les palettes. On a fait ça pendant un week-end avec Mathieu, mon coloc, pour fabriquer un banc dans la cour, c’est juste la galère d’enlever les clous avec un pied de biche. J’espère qu’ils ont trouvé une méthode plus efficace que la nôtre.

    Le projet suivant, ça a été de… fabriquer une éolienne ?! Non, pas juste avec de la récup’ ? C’est quoi cette éolienne ? C’est juste pour le trip ou pour allumer des lumières, pas pour l’électricité d’une maison ? Ils disent qu’ils ont suivi les instructions du manuel d’une association qui s’appelle Tripalium. C’est la traduction française d’un manuel créé par un écossais, Hugh Piggott. Ce type est parti vivre comme un ermite dans une presqu’île d’Écosse. Au bout de quelques années, il en a eu marre de s’éclairer à la bougie et il s’est dit qu’avec le vent qu’il y a chez lui, il pourrait faire tourner une éolienne. Après sept tentatives infructueuses, il a réussit à faire quelque chose qui marche et a diffusé les plans.

    « La machine est conçue pour être facile à construire avec des matériaux et des outils très répandus. Hugh Piggott retransmet son savoir-faire sous forme de stages de construction. En cinq jours, une équipe d’une quinzaine de novices transforme des matériaux bruts pour faire éclore une éolienne qui tournera des dizaines d’années. »

    Alors, c’est pas juste dans les livres, il y a vraiment des gens qui partent vivre en ermite dans des lieux totalement isolés. Respect.

    En ce qui concerne l’éolienne, elle serait fabriquée à partir de bois pour les pâles, de tuyaux en métal pour le mât, d’un moyeu de roue de voiture pour le système qui tourne, de bobines de cuivre et d’aimants pour le système de production électrique. Ce n’est pas que de la récup’, on peut difficilement récupérer les aimants disent-ils.

    En fonction de la taille de l’éolienne, elle produit plus ou moins d’énergie. Entre 200W et 2000W. Ça me parle pas trop. Grosso modo, la plus grande pourrait suffire pour l’autonomie d’une maison sans chauffage électrique. Ils disent qu’ils fabriquent deux éoliennes en une semaine de chantier participatif à dix personnes. Ça veut dire que si on se motive avec cinq personnes, dans une semaine, on peut avoir une éolienne qui tourne dans la cour et qu’on quitte EDF ? J’y crois moyen quand même…

    Je fouille un peu plus loin. En fait, la production dépend de la hauteur du mât et de l’emplacement. C’est assez logique. Et il y a des restrictions spécifiques pour installer une éolienne en ville. Ils disent qu’au final, ce qui coûte le plus cher, ce n’est pas de construire l’éolienne, mais de la faire raccorder au réseau EDF ou de stocker l’énergie pour l’utiliser quand l’éolienne ne tourne pas.

    Produire sa propre électricité pour éviter de payer des factures. C’est cool, mais ça veut dire aussi que tu es responsable de ta production.

    Si ton éolienne tombe en panne, tu fais comment ? Les éoliennes industrielles ne sont-elles pas plus performantes ?

    J’imagine que la centralisation de la production d’électricité permet des économies d’échelle, notamment pour le stockage et l’adaptation de l’offre et de la demande, non ? Je retourne sur le site de Tripalium.

    En fait, leur philosophie n’est pas de remplacer la production générale d’électricité par de petites éoliennes. Ils expliquent que, vu le prix du rachat de l’énergie, ça ne vaut pas le coup, financièrement, d’installer une éolienne. L’intérêt principal est d’apporter de l’électricité sur des sites isolés où il n’y a pas de raccordement au réseau possible (ou que c’est trop cher).

    Ils insistent beaucoup sur le côté participatif de la construction. Pour celui qui récupère l’éolienne à la fin, cela lui permet de savoir comment elle fonctionne, comment l’entretenir et comme la réparer. C’est un rapport totalement autre que le fait d’acheter une éolienne et d’être dépendant par la suite de son fournisseur.

    Ils trippent complètement sur leur machine.

    « Avoir une éolienne qui tourne devant les yeux (et dans les oreilles) procure un effet hypnotique particulièrement addictif. »

    Je suis pas sûre que ça me captive autant que ça des pâles en bois qui tournent devant ma fenêtre. Je préfère les oiseaux, mais chacun son truc… Je vais quand même regarder à quoi ça ressemble.

    Je tombe sur une vidéo faite sur un stage organisé par l’association Tripalium en Belgique. Il y a deux trucs qui me marquent dans cette vidéo. Déjà, je me rends compte que la plupart des participants au stage viennent pour l’éolienne, mais pas que. En fait, ils viennent parce qu’ils savent qu’en fabriquant une éolienne, ils apprennent plein de choses : travailler le bois, le métal, comprendre comment fonctionne l’énergie et des bases d’électricité. Comme l’idée est que les gens s’auto-organisent, des collaborations et échanges se mettent en place entre les participants qui ont des compétences variées et chacun apprend des autres, non pas de manière théorique, mais de manière très concrète. À partir de ce chantier, quand même relativement court, ils acquièrent les compétences pour fabriquer plein d’autres choses.

    C’est pas mal comme initiation.

    Et le deuxième truc qui me fait tiquer, c’est qu’ils disent qu’on peut faire plein d’autres trucs en auto-construction : chauffage, chauffe-eau, four, lave-linge, etc. Déjà que j’ai du mal à imaginer et à intégrer que, vraiment, on puisse construire une éolienne comme ça, rien qu’en se réunissant et en utilisant des outils basiques… Je me demande bien quelle est la réalité concrète de tout ça. Mais ça donne de belles pistes.

    J’aime beaucoup l’une des phrases prononcée par l’un des participants au stage :

    Quand on travaille, on achète des services, des objets. Quand on ne « travaille » pas, on les crée.

    Le travail. Travail. Travaille !

    Quand on ne « travaille » pas, on les crée.

    Je n’ai jamais remis en cause le travail dans notre société. Il me semble évident qu’il est nécessaire de contribuer à l’effort commun, de travailler en échange d’un salaire qui permet d’obtenir les biens de consommation dont on a besoin au quotidien. L’argent est un outil. Ok, il y a les actionnaires et les financiers qui prennent leur part. On vit dans un système capitaliste, c’est comme ça, mais c’est aussi ce qui permet d’avoir des investissements pour créer une industrie de haute technologie et améliorer le quotidien.

    Aller à l’école, faire des études, obtenir un diplôme, travailler dans une entreprise. C’est la division du travail, la spécification des tâches de chacun. Ça me semble logique que les choses fonctionnent ainsi. Alors j’ai toujours pris les choses comme elles sont, sans jamais me demander s’il était possible de faire autrement.

    Ce que je vois avec ces modèles de fonctionnement plus éloignés du système monétaire, c’est que je n’ai pas de temps. Tous ces projets, je les trouve chouettes, mais pour s’y investir, il faut avoir du temps. Et pour avoir du temps, il faut ne pas travailler de manière classique.

    Le temps, c’est de l’argent.

    En fait, non. Le temps, c’est de la vie.

    Et quand on travaille, on troque notre vie contre de l’argent, qui nous permet d’acheter des biens de consommation. Et si notre travail nous ennuie. Alors on ne vit plus, on survit. On m’a souvent rabâché quand j’étais jeune de trouver un travail qui me passionne « car de cette manière, tu ne travailleras pas une journée dans ta vie ». Mon travail me passionnait. Mais c’est un peu trop redondant au bout d’un certain temps. J’aurais aimé tester d’autres choses, même en cuisine, mais cela ne correspond pas au patron, au resto, aux envies des clients, etc.

    Bien sûr qu’il est nécessaire de travailler, d’apporter sa pierre à la société en échange des services que la société nous rend. Mais la manière dont cela se fait dans notre système actuel, c’est chiant. On est enfermé dans une case, on nous demande d’être réactif, performant, adaptatif, de prendre des initiatives, mais toujours dans un cadre très hiérarchique et très normé. Il faut être à la fois autonome et bon petit soldat.

    Ce que les exemples de Elf, des squats et de l’autoconstruction montrent, c’est qu’il y a des gens qui sont sortis de ce système de salariat et qui ont trouvé d’autres manières d’obtenir ce dont ils ont besoin. On ne peut pas dire qu’ils n’apportent pas leur pierre à l’effort commun : qu’il s’agisse de Elf ou des gens qui vivent dans des squats, ils n’ont pas l’air de glander. Et en même temps, ils ne sont pas enfermés dans cette case. Si Elf veut partir changer d’air et bosser deux semaines à faire de la production de nourriture plutôt que de la programmation informatique, il peut le faire. Les activités dans les squats ont l’air d’être multiples et j’imagine qu’on peut passer de l’une à l’autre sans trop se poser de question.

    C’est l’un des trucs qui me fatigue pas mal avec mon taf, et n’importe quel taf : c’est monotone. Je pense qu’on a tous besoin d’alterner les tâches intellectuelles et manuelles. Et puis apprendre. Il y a tellement de d’activités que j’aimerai pouvoir développer, mais je n’ai pas le temps. Parce que je fais mon travail monotone.

    Si on pouvait s’organiser autrement, peut-être que je pourrais apprendre à quelqu’un d’autre mon métier, et cette personne m’apprend le sien : par exemple menuisier. Et on fait deux mi-temps chacun. Ce serait déjà plus chouette de pouvoir alterner les activités.

    En même temps, autant la cuisine a un timing spécifique du fait que les gens mangent à heure fixe, tous les jours, autant, il y a beaucoup de boulots où il n’est pas nécessaire de respecter des horaires stricts. Par exemple le menuisier, qu’il travaille de 8h à 17h ou de 14h à 23h, si les activités se passent dans son atelier, ça ne change rien pour lui.

    J’aimerais tellement pouvoir organiser mon emploi du temps comme je le sens. Il y a des jours où je sais que je serais tellement plus efficace si je commençais à travailler deux heures plus tard parce que je suis fatiguée ou que j’ai envie de finir quelque chose que j’ai commencé.

    Des fois, j’imagine avoir mon propre resto et m’organiser avec une autre personne pour qu’on partage les horaires. Travailler deux fois plus certaines semaines, mais juste pour avoir quelques semaines de liberté en rab.

    Travailler deux fois plus… En même temps, si on trouve d’autres solutions pour acquérir ce dont on a besoin, il n’est pas nécessaire de travailler deux fois plus, on peut juste travailler moins, gagner moins, pour avoir du temps pour faire ce que l’on aime et qui contribue à satisfaire nos besoins essentiels.

    Quels sont nos besoins principaux ? Quels sont les postes de dépenses que j’ai dans le mois ? La nourriture, le loyer et les charges liées, la santé, l’essence et l’entretien de ma voiture, les habits, les abonnements aux site d’info et dons aux assos, les cadeaux pour la famille et les amis, les sorties et extras en tout genre.

    Bon en faisant cette liste, c’est surtout le loyer qui pose question. Et la voiture. Ce sont de loin les plus grands postes de dépenses. Et la voiture est très liée au fait d’aller bosser.

    Dépenser moins pour travailler moins et avoir plus de temps pour faire ce qu’on veut et qui contribue à répondre à nos besoins principaux. J’aime beaucoup le principe mais j’ai vraiment du mal à voir comment je peux l’appliquer concrètement à ma vie perso, là, tout de suite.

    Faut trouver une solution à cette question du loyer…

    Lire le chapitre suivant.


    Références et sources

    Je suis passée au squat « la Grande Ourse » en novembre 2019 lors de l’emménagement dans leurs nouveaux locaux au cœur d’Angers. J’ai été impressionnée par le fourmillement des personnes impliquées dans le lieu et par la multiplicité de leurs activités. Pour aller à leur rencontre, c’est au 6 quai Robert Fèvre. Vous pouvez les retrouver sur Facebook : La Grande Ourse, participer à leurs événements ou vous impliquer en tant que bénévole….

    Sur le Transfo : ce squat est bien cité sur la page Wikipédia « Squat », mais il n’y a pas le lien vers leur site internet. Ce lieu, ouvert en novembre 2012, a été expulsé en novembre 2014. Nous y sommes passés en octobre 2013 alors que l’atelier de construction travaillait sur l’éolienne. C’est en sortant de là que nous avons pris la décision de faire un épisode SideWays sur un chantier participatif organisé par Tripalium. Plus d’infos sur le Transfo : transfo.squat.net

    Concernant le livret avec les explications de construction de la cabane, il n’est pas accessible sur le site. Nous l’avons acheté à prix libre à des membres du squat que nous avons retrouvé sur la route l’année suivante. Je ne l’ai pas avec moi actuellement pour en donner les références, je les mettrai à jour dans une prochaine version du livret.

    La ZAD de Notre-Dame-des-Landes. ZAD est un acronyme, initialement issu du BTP signifiant « zone d’aménagement différé », il a été repris par les militants qui luttaient contre la construction d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes qui l’ont transformé en « zone à défendre ». Le mot ZAD est désormais utilisé de manière plus générale pour parler de mouvements d’occupation de terres pour lutter, le plus souvent, contre des projets d’aménagement du territoire (appelés par les militants de « grands projets inutiles »). Les ZAD se sont multipliées en France depuis 2012. La lutte contre la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est emblématique par la résonance politique et médiatique qu’elle a pu avoir entre 2012 et 2018. La contestation à ce projet a débutée dans les années 1970 et s’est amplifiée en 2009 avec l’arrivée des premiers zadistes sur le site de l’ex-futur aéroport, où ils squattèrent les maisons abandonnées et où ils construisirent des cabanes. Une tentative d’évacuation par les forces de l’ordre a échouée en 2012 et a été suivie par une grande manifestation de reconstruction le mois suivant où plus de 20 000 personnes étaient présentes. Cet événement a été le déclencheur de la visibilité de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes sur la scène médiatique.

    Plus qu’un mouvement de contestation, la ZAD de Notre-Dame-des-Landes est devenue une zone de vie, fonctionnant sur les principes de société non marchande et autogérée, ouverte à ceux qui sont motivés à participer. Sur les 1600 hectares se côtoient des personnes aux origines et aux opinions diverses qui ont mis en place de nombreuses activités nécessaires à la vie quotidienne : activités agricoles, conserverie, boulangerie, scierie, atelier de construction, bibliothèque, restaurant, radio, etc. De grands rassemblements de soutien, culturels et militants, sont organisés tous les ans et accueillent plusieurs dizaines de milliers de participants.

    Le projet d’aéroport a été officiellement abandonné en janvier 2018. Une nouvelle opération d’expulsion par les forces de l’ordre a été entreprise au mois d’avril 2018, détruisant de nombreux lieux de vie sur la ZAD. Les habitants de la zone sont toujours présents sur place, poursuivant leurs expérimentations politiques et sociales. Cet espace reste aujourd’hui encore un lieu ressource où il est possible de passer du temps pour participer aux activités et découvrir d’autres manières de vivre et de s’organiser collectivement.
    Le site de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes : zad.nadir.org

    L’association Tripalium est née suite à une rencontre avec Hugh Piggott. Elle organise des stages d’autoconstruction d’éolienne partout en France. Elle édite et met à jour régulièrement un manuel qui détaille les étapes de construction pas à pas. Toutes les infos : tripalium.org

    La vidéo sur le stage d’autoconstruction est le quatrième épisode de SideWays, la websérie itinérante. Elle a été tourné lors d’un stage d’autoconstruction d’éolienne de l’association Tripalium à Henripont en Belgique. Vous pouvez regarder la vidéo et lire l’article complémentaire ici : side-ways.net/episode4

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