Ce texte constitue également le dernier chapitre du livre « Enquête d’un autre monde ! »
ZAD de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes
Mai, année #1 de SideWays
Il a vécu un grand voyage de plusieurs années en stop, sac au dos, pour réaliser des documentaires dans de petits villages à travers l’Asie. Il en ressort avec une foi en l’humain, avec un respect profond de chacun dans ses différences quelles qu’elles soient, avec une personnalité profondément indépendante. De retour en France, il a essayé de faire de sa passion un travail, dans le sens traditionnel du terme. Il a réalisé des documentaires pour de grands médias. Mais c’est fini, il veut passer à autre chose. Retrouver sa liberté de ton, cesser de faire des dossiers irréalistes pour trouver de l’argent, de jouer au commercial pour vendre les projets qui l’intéressent. Il rêve de faire des films sur les sujets qui l’animent sans la pression indissociable du système de production audiovisuel classique. Créer un autre modèle.
Nous discutons à bâtons rompus pendant des heures. Pour la première fois de ma vie, je rencontre quelqu’un qui a les mêmes idées que moi, les mêmes valeurs, la même manière de voir le monde, la même sensibilité. Nos histoires sont identiques dans leurs différences notamment par le voyage qui ouvre les yeux, qui permet de prendre du recul, de prendre conscience que le bonheur existe, et que nous sommes capables de travailler en dehors du système. Et puis il y a aussi la tentative de rentrer dans le rang, d’avoir un travail « conventionnel », le même dégoût pour les contraintes inhérentes aux « contrats de subordination ». Nous sommes dans la même période de transition, nous avons tous deux commencé un projet de documentaire qui va dans la même direction. Cette rencontre est irréelle et fascinante. Quand nous nous quittons, je n’y crois pas. Je me dis qu’il y a anguille sous roche. Il y a forcément un bug quelque part. C’est trop beau pour être vrai.
Et pourtant… C’est vrai.
Quelque part dans l’Aude
Novembre, année #1 de SideWays
Le mois de mai me semble être il y a deux vies. Tout s’est enchaîné. Une semaine après notre rencontre, Benoit vivait chez moi. Trois semaines plus tard, nous achetions le camion bleu. Deux mois après, nous étions sur les routes entre Nantes, Berlin, Orléans, Paris, la Belgique, et maintenant le sud de la France. Moi, l’indépendante qui ne supporte pas de voir trop de monde tout le temps, je me retrouve à vivre à deux dans un espace plus petit qu’une chambre étudiante. Et ça se passe comme dans un rêve !
Il y a quelques semaines, alors que nous étions invités dans une maison, qu’il neigeait dehors et que nous nous réchauffions auprès du feu, on m’a demandé si je n’avais pas peur de regretter de prendre autant de risques, de tout abandonner sans savoir où je vais. La réponse est sortie toute seule sans que j’y réfléchisse : « J’ai déjà vécu en quelques mois des moments tellement extraordinaires, que ça vaut mille fois le risque que je prends ». Des dizaines et des dizaines de rencontres gravées dans mon cœur, des mots qui m’ont fait pleurer de joie, un regard sur le monde tellement différent de ce dont j’ai l’habitude…
Dans un champ de coquelicots, près de la frontière espagnole
Avril, année #2 de SideWays
Dans quelques heures, nous passerons la frontière pour rentrer en France après un bel hiver en Espagne. Nous sommes sur un petit nuage, dans une région où il y a trois habitants par kilomètre carré. Les terres sont arides. À certains moments, nous pourrions nous croire dans un western italien. C’est calme, c’est fascinant, c’est tellement agréable d’avoir un paysage aussi imposant devant soi, on se sent tout petit, et nous trouvons cela particulièrement rassurant…
Les journées se suivent et ne se ressemblent pas. Nous passons beaucoup de temps à travailler sur la petite table du camion, les ordinateurs collés l’un à l’autre par manque de place. De temps à autre, nous passons l’après-midi à la médiathèque pour recharger les ordis et travailler dans un autre cadre. Nous faisons ça surtout en ville, mais il faut dire que nous avons passé du temps à Barcelone au cours des derniers mois. Nous sommes allés à la rencontre de nombreuses alternatives de Catalogne : Can Masdeu, Calafou, Can Biarlu, Valldaura, le FabLab BCN, l’Ateneu de Fabricacio de Las Corts, etc. Elles sont organisées dans un réseau bien construit depuis le mouvement des Indignés, ces rassemblements de plusieurs dizaines de milliers de personnes qui ont occupé les places principales des grandes villes espagnoles en 2011. C’est impressionnant de voir le nombre de personnes qui, à ce moment-là, ont découvert d’autres manières de vivre et se sont lancées dans des projets autogérés. On dit parfois que les mouvements sociaux ont échoué, mais là, nous prenons conscience de l’impact invisible qu’a eu cet événement en Catalogne.
Nous n’avons pas trouvé l’épisode rêvé dans le nord de l’Espagne, alors nous sommes descendus plus au sud, dans la région de Valence. Nous y avons rencontré Juan Anton et sa forêt comestible. Cet homme est un amour, on le considère presque comme notre grand-père espagnol maintenant. Ça fait tellement plaisir de rencontrer quelqu’un de son âge aussi vivant, avec une telle détermination pour changer le monde ! C’est une sacrée leçon d’humilité et de respect. Tout comme la rencontre avec Abdoulaye Faye, qui développait un concept de « communautés autofinancées », un système pour limiter notre usage des banques. Il donne tout ce qu’il a pour le plaisir de partager. Nous l’avons vu plusieurs fois, offrant toujours attention et petits cadeaux, le tout de manière sincère, bienveillante, sans rien attendre en retour. Son ami Flavio a fait de même en nous accueillant chez lui pour finaliser l’épisode sur Juan Anton. Quel plaisir d’envoyer le fichier vidéo sur internet en quelques minutes avec une connexion en fibre optique plutôt que d’attendre une nuit entière devant un café dont nous captons la connexion internet, en croisant les doigts pour que le chargement se passe bien ! Abdoulaye et Flavio nous ont offert une leçon de générosité dont on se souviendra longtemps.
Nous avons l’impression de recevoir tellement des personnes que l’on rencontre. En même temps, nous avons la sensation, à travers leurs regards, que nous leur apportons également quelque chose, qu’ils sont heureux de nous voir alors que l’on ne se connaît pas. Très souvent, il y a une sorte d’étincelle, quelque chose se passe, nous sentons que ce que nous sommes en train de vivre n’est pas anodin. C’est puissant.
Et puis… il y a les petites plantes. Juan Anton dit que chacun d’entre nous devrait produire une partie de sa nourriture. Nous l’avons pris au mot. Nous sommes nomades, nous n’avons pas beaucoup de place, mais il y a toujours moyen d’en trouver. Alors nous avons condamné un des sièges passagers à l’avant du camion pour installer des pots et on a ajouté trois jardinières mobiles que l’on sort quand nous nous arrêtons et qui sont accrochées au plafond quand on roule.
Après avoir acheté des graines non hybridées, nous avons planté des tomates, des carottes, de la laitue, de la roquette, de la menthe, du persil, du basilic, etc. Nous les arrosons avec attention et, au réveil, nous regardons comment nos petites plantes ont poussé pendant la nuit. Elles grandissent à vue d’œil. C’est fou comme leur présence change quelque chose dans mon être, un peu comme si elles remplissaient un vide dont j’étais jusqu’ici inconsciente.
Thouars, Deux-Sèvres
Mars, année #3 de SideWays
« Comment faire pour vivre ses rêves sans rentrer dans le système classique du salariat ? », c’est un peu la question à laquelle nous voulions répondre quand nous avons commencé SideWays. Comment fait-on pour vivre nos rêves, concrètement ?
À force de voir des gens qui ont réussi ou qui sont en chemin pour créer leur univers propre, nous commençons à avoir une vision plus claire. Prendre conscience que l’argent n’est qu’un outil, que l’on est tous capable de construire ce dont nous avons besoin, que la nourriture peut être achetée, certes, mais aussi produite directement, récupérée, troquée, échangée. Pour se loger, en dehors d’achat et de la location, il est possible de vivre en camion ou en habitat léger, en squat, de construire sa propre maison. Ces maisons peuvent être de tous types, de toutes formes, de différents matériaux, plus ou moins chères. Quoi qu’il en soit, c’est faisable de construire une petite maison avec des matériaux locaux qui permet d’avoir le minimum même si on a peu de moyens. Il y a aussi la vie en collectif, avec beaucoup de monde ou juste quelques personnes, avec plus ou moins d’espace et de projets communs. Un mode de vie qui permet à la fois de moins se fatiguer, d’avoir plus d’enthousiasme, de motivation, de dépenser moins. Mais la vie en collectif demande aussi beaucoup d’attention, de temps, de patience…
Nous nous rendons compte qu’en fait, toutes les solutions aux problèmes de notre temps, on les a. Elles sont là, mais elles sont trop peu connues. Et puis, il ne s’agit pas juste d’ajouter une touche de ci ou de ça à sa vie quotidienne : des produits écologiques ou des achats locaux. C’est un changement total de paradigme qu’il faut mettre en place. Mais on ne transforme pas sa vie du jour au lendemain. Les changements profonds prennent du temps. Au final, nous avons eu la chance de nous rencontrer quand nous étions tous deux en période de transition. C’était un moment propice, où nous étions ouverts à porter un nouveau regard sur le monde, à nous remettre en question, à expérimenter de nouveaux possibles. Il semble évident que toutes les périodes de la vie ne sont pas propices à ça.
Des gens qui changent profondément leur regard, il y en a des milliers, nous en rencontrons partout. Rares sont ceux qui ont fait réellement le tour de la question, ceux qui ont déjà profondément modifié leur vie et qui ont mis totalement en accord leurs valeurs et leurs actions, la plupart d’entre nous sont en chemin. La rencontre avec Robert Coudray, le Poète Ferrailleur, nous a profondément marqués. Nous avions l’impression de rencontrer quelqu’un qui s’était posé les mêmes questions que nous à notre âge, mais qui a trente ans d’expérience de plus que nous. Il nous a permis de prendre du recul sur notre expérience, de mettre de côté nos peurs, ces peurs inconscientes qui étaient malgré tout dans notre esprit : peur de la différence, de trop sortir du moule, de ne pas être capable de retourner à une « vie classique », peur du regard de notre famille, de nos proches. Et puis ce message que l’on se remémore souvent : « Ce n’est pas en se forçant qu’on change les choses, c’est en étant à sa place. »
Nous avons beaucoup pensé à Robert cet hiver. Nous sommes partis en Italie. Il a plu pendant des mois, sans s’arrêter. Plus il pleuvait, plus nous allions vers le sud. Nous avons fini à la pointe de la botte. Alors nous avons pris le ferry et nous sommes allés en Sicile. Il pleuvait encore. Il pleuvait toujours. La vie en camion, quand il pleut, ce n’est pas très marrant… Et puis en Sicile, l’accès à l’eau est compliqué. On a fait de belles rencontres, notamment Rosetta et Agatha, des mamans remplaçantes qui prenaient soin de nous quand nous étions à Gela. Elles nous faisaient de bons petits plats et étaient pleines d’attentions.
Je passe les détails, mais j’ai dû faire deux allers-retours à Paris pour des questions administratives, Benoit s’est ouvert le genou, les toilettes chimiques ont explosé dans le camion… Autant dire qu’à la fin de l’hiver, nous n’en menions pas large. Et, un peu comme un coup de baguette magique, quand nous avons franchi la frontière, tout est redevenu extraordinaire : le soleil était de retour, les rencontres enthousiasmantes se sont enchaînées, de nouvelles collaborations sont nées avec des personnes croisées en chemin qui sont devenues de très bonnes amies. À ce moment-là, nous nous sommes rendu compte que même si cet hiver a été dur, à aucun moment nous n’avons envisagé d’arrêter. Ça ne nous est pas venu à l’esprit de faire autre chose. Malgré toutes les galères et les mauvais moments, on sait que ce que l’on fait a du sens, qu’on aime cette série et cette manière de vivre. On est à notre place.
Sur la route entre Paris et Toulouse
Mars, année #4 de SideWays
Nous avons fini le bilan de l’année 2015. Tous les ans, nous publions un document qui récapitule l’ensemble des activités de l’année précédente, avec nos comptes détaillés, pour que les contributeurs et tous ceux qui soutiennent la série, sachent à quoi sert leur argent. Nous aimons beaucoup faire ce document, il nous permet de prendre conscience à quel point notre vie est vivante ! Et dire que de temps en temps, nous avons l’impression de ne pas avancer assez vite.
La belle nouvelle du moment, c’est que nos comptes sont (presque) à l’équilibre ! 96 % de tout ce que l’on dépense au cours de l’année sont couverts par les recettes liées à SideWays. C’est une sacrée victoire pour la participation libre. Je pense que c’est ce qui m’a le plus gêné au début de l’aventure, le fait de ne pas savoir si notre modèle économique fonctionnerait. La participation libre comme modèle unique, c’est une expérimentation. Nous refusons tout ce qui peut engendrer des problèmes de domination ou de soumission à des règles que nous ne maîtrisons pas, ce qui signifie : pas de subvention ni de partenariat privé. Pas de publicité non plus, bien entendu. Comme notre objectif principal est de faire passer un message, il était évident que nos épisodes devaient être accessibles à tous, sur internet mais aussi de manière générale. Ils sont téléchargeables et peuvent être projetés par qui le souhaite sans avoir à nous demander d’autorisation. Comme les logiciels d’Elf Pavlik, nos épisodes sont sous licence Creative Commons.
Alors, la seule source de revenus de SideWays, c’est la participation libre. La participation libre, c’est vaste, ça peut être un don monétaire, le partage de ses compétences ou le don d’un panier de légumes. Cette année, nous avons sorti un DVD, vendu à prix libre, et nos projections sont à prix libre aussi. Cela signifie que chacun donne ce qu’il peut ou veut en fonction de ses possibles et de son envie de soutenir notre travail. Au début, nous participions à peu d’événements, nous nous concentrions sur la réalisation d’épisodes. Puis, au fur et à mesure, on nous invitait de plus en plus. Les projections sont des moments forts pour rencontrer les gens, partager nos expériences et voir leurs réactions. Si les seuls retours que nous avions étaient les commentaires postés sur les réseaux sociaux et les mails, ce serait quand même sacrément moins marrant.
On ressent que les projections ont un impact chez ceux qui sont présents. On observe des étoiles dans les yeux, des sourires, des remerciements. Ça fait tellement chaud au cœur ! C’est la plus belle de nos récompenses. Rien que d’y penser, j’en ai les larmes aux yeux. Ceux qui n’ont pas d’argent cherchent souvent quelque chose à nous offrir, au-delà de leurs sourires. C’est ainsi qu’on nous a offert des calligraphies, des cours de permaculture, des quantités de conserves, des dessins… et même, une fois, un concert de musique ! Marie-Laurette, accompagnée de son « Guérison Voyageur », nous a transpercés par son chant rauque : c’était fort. Ces partages-là sont tellement plus beaux que l’argent, outil insensible et froid.
Il y a aussi tous ceux qui contribuent en compétences, par exemple, ces dizaines de personnes qui relisent les épisodes avant publication pour améliorer le rendu final. Leurs retours sont toujours particulièrement pertinents. Au fur et à mesure, nous finissons par le reconnaître via le regard qu’ils portent aux films et aux articles multimédias. Il y a aussi l’ami qui nous aide à résoudre les bugs informatiques, ceux qui participent à traduire le site et les épisodes en anglais, en allemand, en espagnol, ceux qui nous ont formés à l’étalonnage, au mixage son, sans oublier les contributeurs qui aident à diffuser la série en organisant ou en animant des projections, en distribuant des flyers ou en vendant des DVD. Toutes ces aides concrètes sont fondamentales pour le bon fonctionnement de la série.
En tant que nomades, nous avons l’opportunité d’aller les voir quand on passe près de chez eux, pour sortir du virtuel. A posteriori, on se rend compte que nos soutiens les plus fidèles sont ceux que l’on a rencontrés à un moment ou à un autre. On n’est plus uniquement dans l’échange, c’est un lien plus profond qui se crée.
Cette histoire de soutien en compétences n’est pas à sens unique d’ailleurs. De notre côté aussi, nous aimons soutenir les projets que l’on aime. C’est ainsi que nous avons donné un coup de main au média en ligne Basta ! quand l’équipe souhaitait mettre en place des articles « grand format » à l’image des articles multimédias de SideWays, que nous avons participé au tournage du film Irrintzina, le cri de la génération climat avec Fokus21 ou que nous avons réalisé la mise en forme de recueils d’articles pour la Coordination Permanente des Médias Libres. Pour le plaisir de les aider, sans rien attendre en retour. Parfois, cependant, ils soutiennent SideWays, et c’est ainsi qu’une partie de nos revenus a commencé à provenir aussi de collaborations à des initiatives que l’on affectionne particulièrement. L’année qui vient de s’écouler, nous avons publié l’épisode sur Daniel, le boulanger, qui a particulièrement bien fonctionné sur internet : plus d’un million de vues de l’épisode toutes plateformes confondues ! On a reçu beaucoup de dons, beaucoup de messages, beaucoup d’invitations à des projections, c’était l’effervescence !
Au-delà de la diffusion en ligne, nous avons réalisé une première grande tournée de projections entre mai et novembre, en partant de Lille pour aller à Marseille en passant par Brest. Il faut bien avouer : nous avons fini sur les rotules. Depuis quelques mois, nous nous reposons en travaillant uniquement sur ordinateur. Une bouffée de calme qui fait un bien fou. Prendre un peu de recul, après cette année bouillonnante, pour savoir comment poursuivre…
Haute-Vienne
Fin mai, année #5 de SideWays
La vie est vivante ! Il y a sans cesse de nouvelles rencontres, de nouveaux projets, des expériences intéressantes à vivre. Même quand nous voulons prendre une pause quelques jours, nous nous faisons rattraper par les possibles, disponibles aujourd’hui et qui ne le seront plus demain.
Il y a quelques mois, nous avons franchi un cap. Nous avons acheté un terrain en Haute-Vienne. Depuis la rencontre avec Juan Anton, nous avions cette envie pressante de planter des fruitiers, un peu comme une sécurité pour l’avenir. Et puis, la vie en camion, que nous affectionnons particulièrement, est aussi une vie précaire, dans le sens où, si nous avons un accident ou un problème quelconque, nous n’avons plus de maison. Aussi, comme nous fonctionnons sur la participation libre, il suffit d’une crise économique pour que nous soyons les premiers à ne plus avoir de revenus. Et… de temps en temps, nous rêvons d’un endroit où il n’y a personne à rencontrer. Nous ressentions donc le besoin de trouver un pied-à-terre quelque part.
Nous avons pensé à un terrain collectif et nous nous sommes rendu compte que cela prendrait trop de temps de trouver le bon collectif, et que c’est beaucoup d’engagement. Alors nous avons cherché un terrain quelque part, pas trop cher, pas trop loin de la famille. En fouillant sur les petites annonces, nous avons trouvé une perle. Nous sommes tout de suite tombés sous le charme. C’est une clairière dans les bois, avec un point d’eau et un ancien bureau de chantier reconverti en box de stockage. Avec des amis, nous avons entamé les travaux pour transformer cette caisse en tôle en un petit appartement : nous avons posé des fenêtres, commencé l’isolation. En novembre, nous avons planté une dizaine de fruitiers. Nous allons continuer, année après année, à améliorer ce petit paradis pour qu’il devienne une belle forêt comestible avec un petit cocon chaud où aller se réfugier au besoin.
Ce terrain, c’est un pied-à-terre, mais nous sommes nomades dans l’âme, hors de question d’abandonner la vie en camion, cette vie qui fait vibrer notre quotidien. Peu à peu, je prends conscience du chemin que nous avons parcouru au cours des dernières années. Je ne suis plus sans cesse en train de me stresser parce que ça n’avancepas assez vite, j’apprends à privilégier les rencontres qui sont face à moi plutôt que mes objectifs de travail sur ordinateur. À force de petites galères mécaniques, nous avons appris à résoudre les problèmes et à y faire face. Cela ne signifie pas que nous sommes devenus mécanos, mais nous avons compris comment fonctionne un moteur, ce que nous pouvons faire par nous-mêmes, et nous savons maintenant que, quoi qu’il arrive, nous trouverons une solution. En ce qui concerne l’aménagement intérieur du camion et le cabanon de la clairière, c’est pareil. Nous savons maintenant brancher des câbles électriques, construire les meubles dont nous avons besoin, ajuster des raccords de gaz, trouver des solutions aux problèmes qui se posent théoriquement, puis avoir la patience nécessaire pour passer à la pratique. Parce que dans le bricolage, entre la théorie et la pratique, il y a toujours un monde !
Le système D pour Débrouille est le plus intéressant qui soit. Il donne les armes pour affronter n’importe quel problème. Nous savons bien que nous ne sommes pas à l’abri de nous retrouver, tôt ou tard, face à des situations délicates. Mais en tout cas, les problèmes matériels ne nous font plus peur, et c’est déjà énorme.
En décembre dernier, nous avons aussi acheté une caravane, que nous avons transformée en mini-cinéma nomade. Nous allons enfin pouvoir faire des projections spontanées partout sans devoir attendre la nuit tombée. Plus le temps passe, plus nous nous détachons d’internet. Nous avons compris que, contrairement à ce que l’on imaginait au début, nous faisons le plus vieux métier du monde : nous prenons des histoires ici pour les raconter là-bas.
Nous aimons la spontanéité de la rencontre et des échanges, le prix libre, un peu comme les troubadours qui gagnent trois sous qui leur permettent de voyager jusqu’à la prochaine ville. Se détacher du matériel pour gagner en liberté, c’est l’une des clés. Mais entre le dire et le faire, c’est toute une histoire. C’est un peu notre histoire, au cours des dernières années. Nous avons appris au fur et à mesure des rencontres, des chemins, des expériences…
Tournée dans le Lot
Avril, année #6 de SideWays
Les activités sont toujours aussi vivantes, enthousiasmantes, épuisantes, mais je crois que c’est le rythme de SideWays, c’est notre rythme, il faut l’accepter. Les projections s’enchaînent, nous nous accordons des moments de pause pendant l’hiver, dans le désert d’Aragon, cher à notre cœur. Si nous pouvons continuer à faire ce que nous faisons déjà, nous avons aussi besoin de renouveau. Il y a un virage à prendre, nous le savons, nous le ressentons : nous ne sommes plus totalement sur notre voie.
Nous poursuivons notre quête, avançant chaque jour un peu plus. Nous grandissons et mûrissons. Un deuxième camion va rejoindre le convoi pour plus d’indépendance. Il va nécessiter de nombreux travaux pour reprendre la route après des années sans avoir roulé, mais ce type de chantier ne nous fait plus peur. Le cabanon du terrain commence à être vivable, même en hiver, les fruitiers grandissent peu à peu. Cette aire naturelle permet d’organiser des rencontres de nomades ou d’être un havre de paix pour les amis qui ont besoin de repos. Cela nous fait plaisir de pouvoir accueillir à notre tour après tant d’années à être accueillis chez les uns et les autres. En même temps, il y a ce petit quelque chose qui nous titille. On ne sait pas quoi. Remettre tout en cause, encore une fois. Laisser le temps passer, ressentir ce que l’on a au fond de nous-mêmes, savoir prendre les virages nécessaires. Faire confiance.
Benoit rêve de grands voyages, il voudrait faire plus de vidéos, plus courtes, pour mettre en valeur la multitude des personnes fascinantes que nous rencontrons, où que l’on aille.
De mon côté, je me pose cette question : une fois que l’on s’est rapproché de sa voie, que l’on s’est libéré du carcan imposé inconsciemment depuis l’enfance, que l’on a changé les choses à son échelle, que l’on a du temps pour faire ce que l’on aime et qui a du sens, comment fait-on pour changer d’échelle ? Comment faire pour que ceux qui n’ont pas notre chance puissent avoir l’opportunité de reprendre la main sur leur vie, au-delà d’un cercle
d’initiés, au-delà des conditions sociales ?
Après plus de six ans de vie nomade, notre quête d’un monde plus solidaire nous a déjà amenés sur des routes que nous n’aurions pas imaginées. Nous avons appris avec notre tête, avec nos mains, avec notre âme. Nous avons vécu avec intensité. Nous avons ressenti la flamme que l’on peut avoir dans le cœur quand on est sur sa voie. Et tout cela n’est pas terminé. De temps en temps, on nous demande combien de temps nous allons continuer notre aventure. Nous sommes bien incapables de répondre. Cela dépendra des événements, des envies, de l’enthousiasme. Et si nous arrêtions de réaliser SideWays, cela ne signifierait pas que nous ne poursuivrions pas notre chemin de la même manière, mais en faisant autre chose. Nous n’imaginons, ni l’un ni l’autre, pouvoir redevenir sédentaires. Cela viendra peut-être… mais en attendant…
SideWays en quelques chiffres
L’histoire a commencé en 2013…
Plusieurs centaines d’initiateurs de projets rencontrés…
11 épisodes multimédias alliant vidéos, textes, photos et interviews sonores (+ des bonus).
Plus d’un million et demi de vues sur les différentes plateformes vidéo sur internet.
Les films ont été diffusés dans plus de 35 festivals de films à travers le monde (dont les États-Unis, le Chili, la Corée du Sud, la Russie, etc.) et ont reçu plusieurs prix.
Plus de 200 projections des épisodes, soit par nous, soit par des contributeurs de la série ou des projets amis – notons notamment CinéCyclo qui diffuse les épisodes de la série parmi sa sélection depuis plusieurs années.
Plus de 2 000 DVD vendus à prix libre sur les routes et par internet.
Une exposition photo liée aux épisodes.
Des centaines d’articles sur le blog de la série.
Le site et les épisodes traduits en anglais, allemand, espagnol par des contributeurs volontaires,
des dizaines de contributeurs ont participé à la série via des relectures et coups de mains techniques,
des centaines (milliers ?) de donateurs ont permis de financer le projet depuis les débuts,
des milliers de rencontres participent à faire de notre vie une si belle aventure,
des partenariats avec de chouettes autres médias, notamment Fokus21, Basta !, L’Âge de faire, Histoires Ordinaires, Le Lot en Action, la Coordination Permanente des Médias Libres et la Fédération de l’Audiovisuel Participatif.
1 camion bleu et 1 caravane jaune,
150 000 kilomètres parcourus dans six pays d’Europe,
de belles itinérances partagées avec Aurélie, Geneviève, Maéva, Chloé, Benjamin et Florence, etc.,
des paysages sublimes au réveil,
des balades magiques,
des milliers de photos.
Bonjour,
J’ai lu avec grand intérêt votre parcours de vie sur un groupie fb nomade.
Je pense que nous avons des points en commun. Je vous laisse les découvrir avec mon site internet.
Je vais, à mon tour, devenir nomade vers mi mars 2022.
Ce sera un plaisir de vous croiser sur la route.
Bonne continuité.
Au plaisir.
Didier